À la Découverte d'un Palmier Rare de Guyane : Bactris nancibaensis
(Par Olivier REILHES)

Me voici en Guyane en ce mois de février 2010 pour une courte mission professionnelle que, bien sûr, je décide de prolonger par un petit week-end en forêt. En cherchant sur internet un plan sympa, je tombe par hasard sur de belles photos d'un campement en forêt, le camp Cariacou, et l'une de ces photos attire tout particulièrement mon attention. Elle montre un sous bois de forêt marécageuse où l'on aperçoit ici et là quelques magnifiques petits palmiers à longues et majestueuses palmes entières, vraisemblablement des Geonoma. Ni une, ni deux, il faut que j'aille voir cela de mes propres yeux ...
Après une demi-heure de pirogue au départ de Kourou, j'arrive en ce samedi matin sur place. Louis, notre guide amérindien, nous propose de faire un petit tour en forêt, et très rapidement, j'aperçois l'objet de ma visite : de magnifiques Geonoma baculifera, petits palmiers au stipe fin non épineux et aux longues palmes entières. Au cours de cette balade, je rencontre également les palmiers épineux assez courants Astrocaryum sciophilum et A. murumuru, dont Louis nous fait gouter la pulpe des petites noix, comparables à de minuscules noix de coco, des Patawa (Oenocarpus bataua) dont le bois dur sert comme bois d'œuvre et d'artisanat, quelques petits Bactris difficilement identifiables tant cette famille de palmiers est variée, quelques majestueux Socratea exhorrhiza aux échasses toujours aussi impressionnantes et des Attalea cf. microcarpa, imposants Attalea acaules dont Louis nous montre quelques secrets de tressage de palmes.

De retour au campement, je profite de l'heure de la sieste pour partir discrètement en canoë à la découverte de cette petite crique Cariacou et de ses mystères. L'instant est magique, j'essaye de profiter de chaque seconde, seul au cœur de cette incroyable forêt… Au bout d'un certain temps, un chablis me bloque le passage. Je décide donc de faire demi-tour, quand tout à coup, mon regard est attiré par une petite tache verte claire sur la berge au milieu d'un amoncellement de branchages. Je m'approche en canoë, grimpe difficilement sur la berge abrupte et,…..... « non ce n'est pas possible, ça ne peut pas être ça !! pourtant si !! c'est incroyable... et si c'était vraiment lui !!! c'est bien lui !! c'est…
Bactris nancibaensis !!!»



À ce stade de l'histoire, j'imagine aisément votre perplexité, voire votre déception à l'annonce de ce "Bactris machinchose". Et pourtant, Bactris nancibaensis est un magnifique petit palmier de sous bois aux allures tout à fait caractéristiques. Cespiteux, il présente jusqu'à une dizaine de tiges fines, souples et épineuses de 2 à 5 m de haut surmontées d'une étonnante couronne d'une dizaine de palmes entières en forme de pagaies. Cette espèce a été découverte sur la crique Nancibo (d'où son nom scientifique) et décrite en 2007 par Jean-Jacques de GRANVILLE, alors chercheur à l'IRD et Directeur de l'Herbier de Guyane. C’est une espèce extrêmement rare, protégée par arrêté préfectoral, qui n’était jusqu’alors connue que dans trois stations seulement sur lesquelles ne se trouvaient en tout et pour tout que quelques dizaines de plantes. Quelques mois auparavant, Pierre-Olivier m'avait d’ailleurs montré une de ces stations, du côté du Bagne des Annamites, l'occasion pour moi d'admirer pour la première fois cet étonnant palmier.

L’histoire aurait pu s’arrêter ainsi, mais c’était sans compter à ce moment là sur la mise en place par les autorités locales d’un plan de conservation de l’espèce. C’est dans ce cadre que quelques mois plus tard, en septembre 2011, une mission commanditée par la DEAL de Guyane et chargée de faire un recensement précis de l'espèce, a prospecté quatre aires d'occupation potentielle de l’espèce, dont la zone de la crique Cariacou suite à mon signalement. Si les trois autres sites ont bien confirmé sa présence, les scientifiques ne l'ont malheureusement pas retrouvé à Cariacou. Ils ont pourtant décidé de maintenir ce site dans leur recensement sur la base des clichés que j'avais fourni à l'époque, complétés par une autre observation dans la zone réalisée entre-temps par l'incontournable Pierre-Olivier.

Au final, cinq populations de Bactris nancibaensis sont aujourd’hui connues et suivies, ce qui représente une centaine d'individus et confirme l'endémisme restreint, la rareté et la vulnérabilité de l'espèce. Les expertises botaniques et génétiques réalisées ont permis de regrouper au sein de l'espèce des populations à limbe simple et d'autres à feuilles légèrement découpées, dont celle de la crique Cariacou. L'espèce est intégrée au complexe Bactris maraja qui regroupe plusieurs espèces assez proches présentant des palmes plus ou moins découpées.

En tout cas, une chose est sûre, beaucoup de merveilles restent à découvrir dans cette incroyable forêt guyanaise. Je reste en effet persuadé qu'il y a encore toutes sortes de découvertes à faire, tant la forêt de Guyane est immense, et par endroit si difficilement accessible. Pour des espèces à très faible densité de population, la probabilité que quelqu'un passe à côté d'un spécimen, et que cette personne soit à même de voir qu'il s'agit là de quelque chose d'inconnu reste très faible. Beaucoup de travail de prospection reste donc à faire pour nos équipes Ti-Palm' sur place. Il leur suffira de quelques connaissances, d'un peu de patience… et surtout de beaucoup de chance !!

Références :
- GRANVILLE J.-J. de, A new species of Bactris (Palmae) from French Guiana, Brittonia, 59 (4), 2007: 354-356.
- REINETTE Y. et LEOTARD G., Etude floristique visant à confirmer la présence de Bactris nancibaensis sur 4 aires d'occupation, septembre 2011