Les Dypsis decipiens d’Ambohitantely
(Par Jean-Pierre RIVIÈRE et Olivier REILHES)

Après plus de 100 kilomètres de routes sinueuses au départ de Tananarive, puis 12 kilomètres de piste en latérite, nous arrivons enfin dans la réserve d’Ambohitantely. Cette petite réserve semble assez peu connue et surtout très peu visitée. Nous voici en plein milieu de la savane sous un soleil de plomb, à notre droite, à notre gauche, un peu partout... Dypsis decipiens !!! Des centaines de Dypsis decipiens, probablement centenaires pour bon nombre d’entre eux, se dressent devant nous. Les talus abrupts, les herbes hautes et sèches, les broussailles n’empêcheront pas notre progression. Après quelques situations acrobatiques, nous voici enfin arrivés au pied de ces mastodontes de plus de 20 mètres de haut. Nous nous sentons tout petits. Ces vénérables palmiers, à la fois robustes et majestueux, nous laissent sans voix. Nous avions beau nous être préparés depuis déjà plusieurs jours, nous restons complètement subjugués devant un tel spectacle !!

Plusieurs peuplements de decipiens sont visibles depuis le point culminant ou nous nous trouvons. Chaque bosquet comporte plusieurs dizaines d’individus, à chaque fois entourés d’une savane quasi désertique. Le spectacle est vraiment impressionnant. Aux alentours les jeunes plants sont eux aussi très imposants. Les quelques palmes tombées au sol nous donnent une idée de la grosseur du manchon foliaire, près d’1,5 mètre de long. Celui-ci est très marqué et de couleur vert clair. Le contraste avec le gris du stipe est époustouflant. Tous les sujets observés poussent sur des talus arides et aucun sujet n’est observé en fond de vallée plus humide, ce qui confirme bien le peu de besoins en eau de cette espèce. Mais, constatation plus surprenante, aucun des decipiens n’est cespiteux, contrairement à ce que l’on peut observer fréquemment en culture. Il est donc probable que le développement du caractère cespiteux soit chez cette espèce une réaction à des conditions de culture inappropriées, généralement trop chaudes ou trop humides par rapport à son milieu d’origine. périeure qu’inférieure. En comparaison, son proche parent le palmiste rouge, Acanthophoenix rubra, présente des folioles de couleur plutôt glauque en dessous.

Cela fait maintenant plus d’une heure que nous prospectons les talus alentours quand notre guide nous appelle et nous montre du doigt un autre palmier parmi les decipiens, dans la direction opposée. Nous voila repartis en courant vers le talus d’en face sous le regard amusé de notre chauffeur. Nous arrivons sans trop de peine au pied d’un jeune palmier à l’allure massive, assez proche des jeunes decipiens alentours, mais présentant un stipe de couleur jaunâtre portant un manchon foliaire vert assez peu marqué. Il s’agit cette fois-ci sans nul doute d’un Dypsis oropedionis. Nous partons méthodiquement à la recherche d’un autre sujet. Ce dernier ne se fera pas attendre quand, sortant de ce bosquet, notre regard est attiré par une allure au loin assez caractéristique. Émergeant d’un îlot de forêt parsemé de decipiens, un immense Dypsis oropedionis très âgé, mesurant plus de 20 mètres de haut, surplombe la forêt. Son allure frêle et torturée se balançant avec nonchalance au gré du vent contraste étonnamment avec les colonnes massives des decipiens alentours. Après une nouvelle marche d’approche cette fois-ci carrément périlleuse, nous découvrons de plus près cet incroyable palmier. Son immense stipe gris est surmonté d’un manchon foliaire plutôt sombre. Mais ce qui frappe le plus au pied de ce géant ce sont ses palmes rigides étonnamment disposées sur trois plans. C’est magnifique !

L’heure avance, il est temps de regagner le camp, et c’est donc contraints et forcés que nous quittons au pas de course ce lieu enchanteur. Un dernier regard en direction de cette forêt de palmiers perdue au milieu des vallons enherbés à perte de vue et il est déjà temps de rentrer. Nous quittons ce magnifique paysage, un peu inquiets en apercevant des fumeroles au loin. Le guide nous indique le lieu de l’incendie. La forêt brûle de l’autre coté de la colline et visiblement, ce n’est pas la première fois. Cette journée trépidante s’achève, chargée d’émotion, comme si c’était peut être la dernière fois… Reverrons-nous un jour ce site exceptionnel voué probablement à disparaître du fait des incendies à répétition ? Nous comprenons l’importance de protéger ce site et avec lui cette formidable population assez méconnue du palmier royal de Madagascar, Dypsis decipiens.